Homme libre et responsable
ou automate irresponsable ?

Le bagage philosophique que j'ai pu acquérir lors de ma formation d'ingénieur en électronique n'est, je le crains, pas extrêmement sérieux. Un certain nombre d'idées plus ou moins confuses s'entrechoquent dans ma tête, et je crains que leur formalisation soit difficile d'une part et sans grand intérêt d'autre part.
Par contre on trouve dans toutes les bonnes librairies (à condition de le commander) un petit livre remarquable qui décrit avec clarté et concision les quelques "fondements philosophiques" par rapport aux quelles nous allons pouvoir positionner notre réflexion.
Ce petit livre a pour titre "L'automate et la liberté" et son auteur est Christian Saint-Etienne.
On en trouvera ci-dessous quelques extraits :

"Deux débats ont dominé la vision philosophique de l'Occident, depuis trente siècles, en ce qui concerne la place de l'homme dans la société.

Le premier concerne l'ampleur réelle de l'autonomie de l'homme face à ce qui détermine son comportement.
Dans sa version théologique, on distingue les thèses du libre-arbitre et de la prédestination. En clair l'homme gagne-t-il son salut par ses actes dont il assume sa responsabilité, ou est-il "élu ou non élu de Dieu" indépendamment de ses actes ?
Il y a eu dans le judaïsme, dans le catholicisme et dans le protestantisme des adeptes de l'une ou l'autre thèse au cours des trois derniers millénaires, et le débat n'est pas clos.

Dans sa version de philosophie politique, le débat porte sur :
- soit l'autonomie réelle de l'homme dans ses actes,
- soit sur la détermination de ses actes par des forces qui s'imposent à sa volonté de façon consciente ou inconsciente.

Tous les développements de la science dans le contexte de l'essor de la modernité ont conduit à réduire la part d'autonomie l'homme dans ses actes jusqu'à l'émergence d'une vision sur-déterministe en Occident dans la première moitié du XXè siècle.
Cette dernière a même abouti à une vision réductionniste en France dans les années 1950-70 qui continue d'oeuvrer très fortement aujourd'hui.
Le réductionnisme affirme que l'homme est totalement déterminé par son héritage biologique et psychologique et son environnement socio-économico-culturel. L'homme n'a aucune marge de manoeuvre.

Tous nos actes sont indépendants de notre volonté.
Un fils de classe sociale modeste qui accède aux plus hautes destinés scientifiques et universitaires n'a aucun mérite particulier, de même que son frère qui vend de la drogue, brûle des voitures ou pose de bombes, ne porte aucune responsabilité particulière.
C'est l'organisation de la société qui, en conduisant à fixer la place de chacun par son environnement socio-économio-culturel, porte la seule et unique responsabilité du système. Les divergences de comportement au sein d'un groupe ne s'expliquent que par l'héritage biologique et psychologique individuel.

L'individu étant ainsi totalement irresponsable de ses actes, la justice ne peut juger des hommes mais des appartenances socio-économiques ou des spécificités bio-psychologiques. Un même fait peut être amnistié s'il est causé par un "exclu" d'une banlieue et lourdement condamné s'il l'est par un "privilégié".
On ne voit d'ailleurs pas de contradiction dans cette pratique alors qu'en réalité, si nous sommes tous sur-déterminés, le capitaliste est aussi irresponsable de l'exploitation des travailleurs que le travailleur de ses crimes car le premier est, comme le second, conduit malgré lui à jouer son rôle.

La vision réductionniste, qui ne s'embarrasse pas de ses contradictions internes, aboutit à l'irresponsabilité illimitée des "pauvres et exclus" et à la responsabilité tout aussi illimitée de la société et de ses chefs présumés.

.../...

La vision réductionniste de la place de l'homme en société s'est progressivement imposée à l'ensemble des élites intellectuelles françaises, à quelques exceptions près, et aux responsables effectifs de la protection sociale, de l'éducation et de la justice.
Cette vision, qui ne s'affiche que rarement, s'est également imposée à la classe politique, aussi bien de droite que de gauche.
C'est la raison fondamentale de l'incapacité de la droite française à occuper une place légitime dans le discours politique français.
Parce que la droite française a accepté, pour l'essentiel, la vision réductionniste du monde, elle ne défend plus la vision alternative d'une autonomie de l'homme face aux déterminismes. En conséquences, la droite française n'a plus d'appuis philosophiques pour défendre le modèle de l'homme libre de ses actes et donc responsable de ce qu'il fait ou ne fait pas.

La France est le seul pays de l'Occident contemporain où le réductionnisme s'est imposé dans la pensée et la pratique politique dominante. Dans les autres pays occidentaux, la vision déterministe n'a jamais pu occuper l'ensemble du terrain intellectuel et les libéraux, au sens d'adeptes de l'autonomie au moins relative des actes humains et donc de la responsabilité des hommes, ont pu exister et se faire entendre, voire dominer le débat sur certains dossiers comme ceux de la protection sociale ou de la justice. En France ce libéralisme est (encore) marginal.

- Si triomphe le réductionnisme (ce qui est le cas en France aujourd'hui), la vision libérale du monde appliquée à l'économie est insupportable et la mondialisation de l'économie fondée sur le libre commerce ainsi que les exigences libérales de la construction européennes sont illégitimes, immorales et probablement criminelles.
Plus encore si triomphe le réductionnisme, il n'est pas concevable d'introduire des contreparties dans la protection sociale. Cette dernière est un droit inconditionnel des habitants d'un pays. En outre, non seulement on ne peut pas imposer des conditions de contribution fiscales ou au moins d'efforts d'insertion ou déduction aux résidents locaux, mais on doit étendre la protection sociale aux résidents illégaux, car ils n'ont pas choisi leur illégalité : ils ont été conduits par un déterminisme qu'ils ne maîtrisent pas à venir en France dans l'illégalité.
- Si triomphe le réductionnisme, il ne peut y avoir de sélection dans l'éducation. Un enfant de quatorze ou seize ans ignare ou violent qui "cogne ses professeurs" n'est responsable ni de son ignorance, ni de sa violence. En réalité, le professeur attaqué, peut être un de ceux qui exigent encore un peu de discipline, s'est placé délibérément sur la trajectoire du coup porté par l'agresseur. On ne peut donc opposer aux "désirs" des enfants ou des parents qui souhaitent donner une éducation "supérieure" à leur progéniture. Le baccalauréat cesse d'être un examen pour devenir un simple ticket d'entrée dans l'université qui compte aujourd'hui un bon tiers de pseudo étudiants qui, non seulement n'ont rien à y faire, mais se fabriquent des frustrations à vie en cas d'échec.
- Si triomphe le réductionnisme, l'occupation sauvage des logements libres est indéfiniment légitime.

Ainsi, la France est aujourd'hui un pays dont les choix politiques et sociaux principaux sont dominés par le réductionnisme qui est la forme absolue de déterminisme, et elle est le seul pays occidental à s'être donnée au réductionnisme.

Le second débat qui a dominé la vision de philosophie politique sur la place de l'homme en société est celui de l'égalitarisme. Car deux formes possibles de l'égalité des hommes en démocratie sont concevables.

1 - L'égalité de moyens
La première forme pose que les hommes sont libres et égaux en droits civiques et qu'ils doivent disposer d'une égalité de moyens, notamment en termes d'éducation, de soins de santé et d'accès au financement de leurs projets, afin d'avoir une chance sérieuse de réussite matérielle et sociale. Cette égalité de moyens ne doit pas conduite à corriger les inégalités de résultats, sous réserve d'un filet de sécurité pour limiter la casse en cas d'échecs individuels.

2 - L'égalité des résultats
La seconde forme pose que les hommes sont non seulement libres et égaux en droits civiques, mais qu'ils doivent recevoir les bienfaits de la société en fonction de leurs besoins et non de leurs contributions à la société. Il s'agit d'assurer l'égalité des résultats pour tous les résidents d'un pays, qu'ils soient légaux ou illégaux.

La vision philosophique qui sous-tend les choix effectifs de chaque pays dans les domaines politique, économique et social, s'ordonne ainsi autour d'un double choix :
1 - déterminisme relatif ou absolu,
2 - égalitarisme relatif ou absolu.

Premier choix, déterminisme relatif ou absolu :
- Soit l'homme dispose d'une autonomie décisive, en dépit des déterminismes socio-économico-culturel et bio-psychologique qui le façonnent, et le déterminisme qui s'impose à lui n'est que relatif, même s'il n'est pas niable.
- Soit l'homme ne dispose d'aucune marge de d'autonomie et il est soumis à un
déterminisme absolu qui prend la forme du réductionnisme. Dans ce cas il est totalement irresponsable de ses actes. Il n'est en réalité qu'un automate humain.

Deuxième choix, égalitarisme relatif ou absolu :
- Soit l'homme bénéficie d'un égalitarisme relatif sous forme d'égalités des moyens. Il est responsable des résultats et ne bénéficie que d'un filet de sécurité minimum en cas d'échec.
- Soit l'homme bénéficie d'un
égalitarisme absolu. Quelle que soit sa contribution à la société, il est assuré d'un égalité de résultats, qui plus est selon ses besoins.

(fin de l'extrait du livre de Christian Saint Etienne, je reprends la main)

La France a fait le choix :
1 - du déterminisme absolu
2 - de l'égalitarisme absolu

Ce double choix est à l'origine en France :

- de l'existence d'un Etat Providence inconditionnel, qui assure à tous les résidents, Français ou pas, légaux ou illégaux, un égalité des prestations sociales, quelles que soient leurs contribution à la société. Pour ce faire il doit prélever une proportion inégalée des richesses produites dont il a seul la responsabilité d'assurer la redistribution.
Cela explique pourquoi les dépenses des administrations publiques sont en France de 57% du PIB, alors qu'elles sont en moyenne de 39% dans les sept grands pays industriels (avec un maximum de 50% pour l'Italie), soit une écart de 18%.
18% d'un PIB à 8000 milliards de Francs représentent 1440 milliards de Francs qui sont prélevées par l'Etat français, alors qu'ils ne le seraient pas si nous étions dans la moyenne des grands pays. Cela représente 5 fois le déficit budgétaire, 4 fois l'impôt sur le revenu, 2 fois la TVA.

- de la disparition de l'esprit d'entreprise. Puisque, au nom de l'égalitarisme absolu, l'Etat garantit à niveau égal la satisfaction des désirs de celui qui travaille et créé de la richesse et de celui qui fait le choix de ne pas travailler et de vivre en parasite, toute motivation d'entreprendre est annihilée.

- de l'émergence d'une fracture entre ceux qui vivent de l'argent reçu et ceux qui vivent de l'argent gagné. Les premiers sont devenus largement majoritaires et sont donc dans l'obligation de soutenir l'Etat providence dont ils dépendent. Afin de justifier des prélèvements sans cesse croissants sur la minorité qui vit de l'argent gagné, elle entretient une culpabilité contre les 5 à 6 millions de producteurs qui créent la quasi-totalité de la richesse en les qualifiant de super capitalistes avides, égoïstes et vendus à la cause du grand capital internationaliste.

- d'une disparition progressive des quelques millions de "supers producteurs" qui produisent l'essentiels des richesse.. Ils ont généralement entre trente et soixante ans. Beaucoup ont des obligations qui ne leurs permettent pas de s'échapper facilement des griffes de l'Etat-prédateur qui s'est mis en place dans les années 70. Cette situation n'est pas durable. Certains parmi les plus qualifiés ont commencé à quitter le pays tandis que les autres s'organisent pour payer moins d'impôts. De plus leurs enfants (dont je suis) sont beaucoup moins patients avec l'Etat prédateur et à horizon de quelques années nous risquons d'assister à une émigration rapide des travailleurs les plus qualifiés qui ne laissera en France que les Smicards, les retraités et les chômeurs dont on se demande alors quelle vache à lait pourvoira à leurs besoins.

- d'une dégradation de la qualité de vie en France.. Celle-ci dépend du capital physique, humain, culturel et esthétique de notre pays. Or depuis une dizaine d'années nous ne reproduisons plus ce capital et nous vivons du fruit du travail des générations passées, de celles qui nous ont légué les cathédrales à celles qui ont accompli la révolution industrielle.

Il va de soi que l'exception française en terme de conception philosophique de la société ne pourra résister plus de quelques années au vent victorieux du libéralisme qui souffle sur l'ensemble du monde pour son plus grand bonheur.µ

Si nous refusons d'évoluer, nous sommes condamnés :

- Soit à une décadence lente que nous appellerons Corsitude par analogie avec l'île de beauté. Les industries et les entreprises de haute technologie quitteront petit à petit notre territoire pour se délocaliser vers des pays d'accueil qui permettent d'exercer une activité économique dans des conditions décentes. Avec ces entreprises partiront les travailleurs les plus qualifiés. Ne restera plus comme tissus économique à la France que les "services publiques" déficitaire, une agriculture de moins en moins subventionnée par la CEE et une myriade de petits artisans hôteliers, restaurateurs, etc...qui vivront du tourisme devenu la principale activité économique. Le niveau de vie baissera progressivement jusqu'à atteindre celui du Portugal ou de la Grèce aujourd'hui, mais les brochures touristiques continueront de vanter "l'exception française", le bon goût de ses camemberts et l'hospitalité de ses habitants qui seront d'ailleurs en majorité de type nord-africain.

- Soit à une explosion violente. Devant l'évidence de la faillite du système, les minorités qui en sont exclues décideront de se révolter. On pourrait alors assister à une alliance de circonstance entre les électeurs du Front National, ultime rempart de l'esprit gaulois, excédés d'être insultés, méprisés et de voir bafoués les valeurs qu'ils défendent, et les quelques entrepreneurs qui auront résisté aux prédations de l'Etat-providence qui refuseront de continuer à entretenir un système qui les asservis et les méprise.

Comme mouvement politique modéré, nous ne souhaitons pas que se produise aucun des deux scénarios décrits ci-dessus qui nous paraissent aussi détestables l'un que l'autre.

C'est pourquoi ce mouvement est (contre) révolutionnaire. Car nous souhaitons opérer une révolution des esprit par une prise de conscience de notre situation. Nous souhaitons convaincre, mais vite. Et nous souhaitons aboutir à la mise en place d'un nouveau contrat social en France qui soit à l'image de notre monde et qui offre aux générations à venir la perspective d'une vie normale dans une France égale à elle même, c'est à dire capable du meilleur.

Nous faisons donc, en contradiction avec l'idéologie et le mode de pensée dominants, le choix :
1 - du déterminisme relatif,
2 - de l'égalitarisme relatif.

Ce changement de philosophie ne peut et ne doit se faire du jour au lendemain.

Les Français ont en effet peur de la Liberté.
Ils ne sont pas capables, aujourd'hui, d'assumer la responsabilité de leur vie.

50 années de collectivisme et d'irresponsabilité individuelle ont fait des Français des automates.
Seule une réforme radicale de notre système d'Education peut permettre d'en faire des individus responsables. Ce travail, s'il est engagé aujourd'hui, prendra des années. Et il nous faudra attendre une génération avant qu'il porte ses fruits.

 

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Révision : 11-01-1998.