Favilla : Statut du chômeur
(Les Echos - 12 janvier 1998)

 

Une dérive effarante est en train de pervertir le mouvement de soutien aux chômeurs. Parti de la demande légitime d'une aide ponctuelle aux plus démunis, il s'est transformé en revendication de l'octroi à tous d'un revenu garanti et est allé jusqu'à réclamer un statut du chômeur. Il cloue au pilori, en dénonçant son inhumanité, un gouvernement qui refuse d'ouvrir toutes grandes les vannes de l'assistance. Qu'on en arrive à crier « Aubry, Notat, valets du patronat ! » montre à quel point ce mouvement est exposé à l'irréalisme.

Nous avons d'abord là une éclatante confirmation de la thèse de Jacques Julliard (1) selon qui l'appel aux sentiments « humanitaristes » est en passe de se substituer à la réflexion politique. En choisissant de simplement répercuter le cri des victimes sans proposer aucune solution crédible, les militants gauchistes ou cégétistes ne font que se conformer au double impératif de pureté et de « non-responsabilité » qui est au coeur de la démarche moraliste. Ils obéissent à un triple mot d'ordre : « la morale plutôt que la réforme », « la dénonciation plutôt que la négociation », « l'impuissance plutôt que le compromis ». Cherchant d'abord à utiliser les médias pour faire pleurer dans les chaumières, ils ne visent qu'à susciter dans l'opinion une réprobation morale à l'égard des gouvernants - Lionel Jospin après Alain Juppé - et à rendre leur position intenable. Toute conduite cohérente d'un projet politique devient impossible face à cette dictature d'une opinion humanitariste et moraliste.

Un second danger est que l'écho rencontré par ce mouvement n'aboutisse qu'à installer l'opinion dans l'idée que le chômage est une donnée immuable. Ces révolutionnaires ne sont finalement que des conservateurs quand, plutôt que de s'en prendre à l'existence même du sous-emploi, ils ne songent qu'à l'aménager pour que les chômeurs puissent y demeurer sans drame majeur. Marc Blondel n'a pas tort d'ironiser quand il se demande si le futur statut du chômeur ne prévoira pas des semaines de congés payés en plus des primes de fin d'année. Et Nicole Notat a sans doute raison de voir là une résurgence paradoxale du choix implicite du chômage contre l'emploi qui a été effectué depuis vingt ans par la plupart des acteurs politiques, économiques et sociaux. Cela « revient à accepter que notre société soit coupée en deux » et à officialiser « notre part du sous-développement ».

Quelque doute que l'on émette sur l'efficacité des mesures prises par le gouvernement, il reste indiscutable qu'il paye aujourd'hui la priorité donnée à celles qu'il pensait susceptibles de créer des emplois. Or, plutôt que de l'aider à atteindre cet objectif, voilà que la gauche de la gauche n'a de cesse de le ramener aux vieilles lunes du traitement social du chômage. Peu semble lui importer que l'impossibilité d'en supporter les charges écrasantes ne fasse que préparer le lit d'une autre majorité politique qui serait dès lors justifiée à effectuer des coupes sauvages dans le système d'assistance. Mais, après tout, on peut se demander si l'essentiel n'est pas, pour certains, qu'il y ait toujours matière à indignation et dénonciation ?

(1) « La Faute aux élites », éd. Gallimard.

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© 1997 MLR - Révision : 17-01-1998.
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