Qu'est-ce que la politique familiale ?
JACQUES BICHOT - Les Echos - 12 janvier 1998

On a tendance à oublier la nature et la fonction de la politique familiale.

Quel est finalement le sens de la politique familiale ? Que ce soit Alain Juppé ou Lionel Jospin, les mêmes confusions produisent les mêmes effets : les prestations familiales sont prises pour des « aides » apportées aux familles par le reste de la collectivité, et l'on en vient en haut lieu à concevoir la politique familiale comme une assistance aux ménages modestes, en raison de leur pauvreté.

La mise au monde et l'éducation des enfants rendent service à l'ensemble de la communauté, parce qu'elles lui assurent un avenir : telle est la raison fondamentale pour laquelle les familles méritent des prestations. Celles-ci devraient représenter une contrepartie versée par la collectivité en raison de l'utilité que revêtent pour elle l'entretien et la formation des nouvelles générations. Les prestations familiales ont un point commun avec les salaires, les loyers, les intérêts : elles procurent un revenu à des personnes dont le comportement est utile à d'autres.

Dès lors que les allocations familiales constituent la contrepartie de services rendus par ceux qui les touchent, la mise sous conditions de ressources est absurde. On n'a jamais imaginé de supprimer le salaire des travailleurs qui ont par ailleurs des revenus d'un certain montant. La mise sous conditions de ressources des dividendes ou des loyers passerait mal. Quant aux hommes politiques, ils n'ont jamais songé à priver d'indemnités ceux d'entre eux dont le conjoint gagne plus de 25.000 francs par mois.

Vouloir mettre les allocations familiales sous conditions de ressources signifie donc qu'on les prend pour une aide sociale, et non pour la contrepartie d'un service.

Fiscaliser les allocations ?

Après avoir constaté l'opposition des partenaires sociaux aux conditions de ressources, le gouvernement Juppé avait troqué cette piste contre celle de la fiscalisation, c'est-à-dire l'inclusion des allocations familiales dans le revenu imposable. Que penser d'une telle idée ? Dès lors que les prestations familiales sont conçues comme un véritable revenu, contrepartie de l'utilité sociale de la fonction parentale, leur imposition ne soulève aucun problème de principe. Il n'est pas pour autant admissible que l'Etat veuille prendre aux familles une dizaine de milliards annuels. La fiscalisation ne pourrait se réaliser sereinement qu'en étant accompagnée par une revalorisation conséquente des prestations familiales et par la suppression de certaines conditions de ressources qui existent actuellement (par exemple celles que le gouvernement Juppé a édictées relativement à l'allocation pour jeune enfant). Comme cela majorerait les dépenses de la CNAF, il faudrait impérativement accroître ses recettes de manière au moins égale.

Les pouvoirs publics peuvent-ils pour ce faire promettre que l'Etat versera à la branche famille le supplément d'impôt sur le revenu ainsi perçu par le fisc ? Malheureusement, le degré de fiabilité d'un tel engagement est faible ; on a vu le sort de la compensation que l'Etat s'était engagé à payer après avoir modifié et réduit les cotisations famille en 1989 : le versement fut effectué la première année, à moitié la seconde, et ce fut terminé. Il n'est donc pas possible de renoncer à un avantage certain (la non-imposition) pour un autre qui a toutes chances d'être éphémère ; cela serait irresponsable de la part du mouvement familial. Seule une solution sérieuse, comme une attribution de points de CSG ou de cotisation sociale, serait acceptable.

Et le quotient familial ?

L'Union nationale des allocations familiales a proposé au gouvernement de troquer la mise sous conditions de ressources des allocations familiales contre un abaissement du plafond du quotient familial. Un tel plafond consiste à limiter l'usage du quotient familial à la partie des revenus inférieurs à un certain seuil. On peut descendre le curseur à un niveau tel que le fisc gagne autant que les caisses d'allocations familiales auraient économisé en plafonnant les allocations familiales.

Un tel troc pose le même problème que la fiscalisation : comment faire pour que l'argent passe à coup sûr des caisses de l'Etat à celles de la branche familiale ? Il pose un problème plus grave encore : la manipulation du curseur dans un marchandage fait abstraction de la signification du quotient familial. Celui-ci est considéré comme un avantage fiscal, ce qu'il n'est pas. Il se borne à mettre en oeuvre le principe « à niveau de vie égal, taux d'imposition égal ». Sauvy, Sterdyniak et quelques autres l'ont démontré, mais la propagande des gouvernements successifs cherche à faire croire que le quotient familial est une aide fiscale aux familles.

En fait, l'existence d'un plafond pour le quotient familial se justifie du fait que les échelles de niveau de vie ne sont pas indépendantes du revenu. Cela implique que le curseur soit déplacé en fonction des indications données par les statisticiens, et non pas de façon à augmenter l'impôt de x milliards. Il serait préférable que la politique familiale de la France ne soit pas le résultat de marchandages irrespectueux de sa nature et de sa vocation.

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© 1997 MLR - Révision : 17-01-1998.
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