Favilla : L'audace britannique
(Les Echos - 6 octobre 1997)

 

On ne construit pas une société forte sur des choix faciles. » Ces quelques mots extraits de
l'allocution de Tony Blair devant le congrès du Parti travailliste donne une clé pour la
compréhension d'un pays si proche et si éloigné de notre culture. Car cette phrase, Churchill l'avait
appliquée en d'autres circonstances, montrant que ce n'était pas seulement une affaire de mots.

La Grande-Bretagne a inventé le socialisme, a donné naissance à Keynes et à Beveridge. Tony
Blair ne les renie pas. Il les adapte à notre époque. Il ne renie pas non plus, pas tout à fait du
moins, ce qu'a fait Margaret Thatcher. Il corrigera sans doute les excès de la déréglementation
excessive que celle-ci a conduite, mais continuera à faire profiter son pays du souffle libéral qui a
fait rebondir un pays qui semblait naguère moribond.

Tony Blair est aussi socialiste que Lionel Jospin, mais il sait que l'Etat-providence est mort. Il est
aussi nationaliste que Jacques Chirac, mais il sait que l'indépendance repose sur la fierté d'un
peuple qu'on mobilise.

Il en est des nations comme de chacun d'entre nous. Il faut périodiquement se contraindre à des
révisions déchirantes, abattre les cloisons qui ont une propension naturelle à se multiplier. Peu
importent les avantages acquis et les situations médiocrement douillettes, il vient un temps où
l'intérêt général doit l'emporter. Il faut alors inventer, et les innovateurs ne sont jamais assez
nombreux pour qu'on puisse réserver le droit de dire le vrai à un petit nombre. L'idée du
référendum de dévolution organisé par le nouveau gouvernement travailliste au profit de l'Ecosse
et du pays de Galles montre bien l'audace des réformateurs. Nous sommes loin de notre prudence
pusillanime en matière de décentralisation.

Tony Blair a eu la chance de venir après l'ange exterminateur car, après tout, il vaut souvent mieux
commencer par trancher dans le vif avant de reconstruire. Une société trop complexe est fragile et
la France l'est, sans doute, depuis bien longtemps. Le général de Gaulle l'avait bien compris en
empruntant ses mots au rude vocabulaire de l'élevage...

Mais puisque nous n'avons pas de libéraux dans ce pays de Colbert, il faut faire avec ce que l'on
a. Gouverner autrement, c'est peut-être d'abord ne pas être prisonnier de sa majorité
parlementaire ou partisane. Le gouvernement a les moyens constitutionnels de passer outre les
querelles corporatistes ou idéologiques dont nos citoyens sont saturés, toutes les enquêtes le
prouvent. Le conservatisme mine nos institutions comme il avait ruiné celles de la
Grande-Bretagne, ceci n'étant pas affaire de parti mais de comportement.

La mort résulte souvent de la disparition du courage. Un pays peut s'effacer faute d'audace ; les
extrémistes de tous bords se nourrissent de la timidité des politiques. Souvenons-nous avec Tony
Blair, comme, avant lui, J. F. Kennedy, « qu'une nation n'est pas basée sur des droits mais sur des
devoirs
».

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© 1997 MLR - Révision : 24-12-1997.
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