Noble cause, mauvais calcul
Edito l'Expansion n° 559
Par François Roche

Le gouvernement soutient qu'en France tout a été essayé - en vain - pour relancer l'emploi. Ce qui rendrait nécessaire l'intervention de la loi. On a peine à le croire.

En voulant instaurer la durée hebdomadaire du travail à trente-cinq heures au 1er janvier 2000, le gouvernement part d'une noble intention: accélérer la création d'emplois dans un pays où le chômage et la précarité touchent 7 millions de personnes, selon un récent rapport du Commissariat général du Plan. Il part également d'un calcul en apparence logique. Si l'on suit l'arithmétique gouvernementale, une réduction du temps de travail de 10% doit créer 6% d'emplois supplémentaires (les 4% restants allant aux gains de productivité), soit 780000 postes sur un total de 13 millions d'emplois privés concernés par le projet de loi. L'incitation financière versée aux entreprises sous forme d'allègements de cotisations sociales sera d'environ 65 milliards de francs au total en l'an 2000. Cette somme doit être compensée par une baisse équivalente du coût du chômage, à condition qu'il diminue de 540000 personnes (si l'on admet que le coût annuel d'un chômeur pour la collectivité est de 120000 francs). Beaucoup d'hypothèses de calcul à vérifier, on l'admettra. Encore ces chiffrages sont-ils les plus simples que l'on puisse faire, puisqu'ils ne tiennent pas compte des entreprises qui passeront aux trente-cinq heures avant l'an 2000 et pour lesquelles les incitations financières sont plus élevées.

Une nouvelle usine à gaz
Si l'intention est noble et si le calcul macroéconomique a l'apparence de la rigueur, comment expliquer l'incrédulité des milieux économiques, voire des salariés eux-mêmes, sur l'aptitude de ce dispositif à créer des emplois? C'est que, par la force des choses, cette loi qui se voulait simple se transformera en usine à gaz. Il y a déjà quatre cas différents pour calculer le montant d'une aide aux entreprises qui s'étalera sur cinq ans si elles abaissent la durée du travail à trente-cinq heures dès l'année prochaine. Martine Aubry prévoit aussi de recruter de nouveaux inspecteurs du travail pour contrôler les pratiques horaires. Au second semestre de 1999, il faudra fixer le ou les taux de rémunération des heures supplémentaires (l'élément clé de tout le dispositif) en fonction du nombre de salariés de l'entreprise pour ne pas pénaliser les PME, et probablement selon un tarif dégressif sur plusieurs années. On voit bien la difficulté qu'il y aura à vérifier, surveiller, contrôler la bonne application de toutes ces dispositions. Bref, tout cela nous repousse à 2002, 2003 ou 2004 pour avoir une idée un peu précise du rapport coût-efficacité-satisfaction de cette mesure.

L'autre solution
Dans son exposé des motifs, le gouvernement, pour plaider sa cause, a expliqué qu'en France tout avait été essayé ~ en vain ~ pour relancer la création d'emplois. Ce qui rendrait nécessaire l'intervention de la loi. On a peine à le croire. A-t-on sérieusement tenté, depuis dix ans, une réelle simplification administrative, une vraie débureaucratisation, une baisse des impôts substantielle, de solides incitations à entreprendre, pour ne citer que les pistes les plus évidentes? Si oui, il faut croire que cela nous aura échappé...

© Groupe Expansion 1996

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