De grâce, sauvez les privatisations
Edito l'Expansion n° 551
Par François Roche

L'alternance politique ne doit pas systématiquement entraîner la remise en cause de la pérennité de l'action de l'Etat.

Dans le concert de louanges qui a accueilli la formation du nouveau gouvernement, qu'il nous soit permis d'émettre un bémol. Que des membres du Parti communiste y trouvent leur place, rien n'est plus normal, puisqu'ils font partie intégrante de la nouvelle majorité. Toute la question est de savoir comment ils conçoivent leur rôle et quelle partition ils envisagent de jouer. De ce point de vue, l'attitude du ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement méritera d'être observée de près. On connaît l'opposition du PC aux privatisations en général, et en particulier à tout ce qui peut ressembler à une atteinte aux entreprises publiques classées à tort dans le secteur non concurrentiel, comme la SNCF...
Placer l'un de ses représentants en situation d'arbitre sur de tels dossiers ressemble fort à un piège. Soit Jean-Claude Gayssot se situe d'emblée en s'opposant à la privatisation d'Air France ou à la réforme de la SNCF, et il prend la responsabilité de bloquer des réformes sur lesquelles l'Etat est engagé. Soit il se démarque des positions antérieures du PC, et il court le risque de rendre les dossiers encore plus brûlants sur le plan social. Même si c'est une habile manoeuvre politique de Lionel Jospin, ce choix illustre en réalité l'embarras du nouveau pouvoir face à la gestion du secteur public.

Triple nécessité
Les privatisations répondent, on le sait bien, à une triple nécessité. Elles permettent à l'Etat de maigrir en se procurant des ressources financières nouvelles. Elles donnent aux entreprises les moyens de se développer grâce à de véritables actionnaires. Elles dopent le marché boursier dans un pays où l'on se plaît à dénoncer la faiblesse du capitalisme privé. Dans ces conditions, on ne peut pas croire que la gauche française, qui affirme avoir tellement souffert du "ni-ni " mitterrandien, n'ait pas fait sa révolution culturelle sur un tel sujet. Non, il n'est plus dans le rôle de l'Etat de détenir une banque généraliste ou régionale, un groupe d'assurances, une compagnie aérienne, des constructeurs d'avions et de missiles, même s'il est vrai que la droite elle-même n'a pris conscience qu'avec un certain retard de cette incongruité.

Pour des stratégies stables
C'est la raison pour laquelle le flou qui règne sur les intentions du nouveau gouvernement concernant les privatisations annoncées et parfois engagées par la précédente équipe doit s'estomper au plus vite. Qu'il se donne du temps pour examiner les dossiers, soit. Mais l'alternance politique ne doit pas systématiquement entraîner la remise en cause de la pérennité de l'action de l'Etat. Les équipes dirigeantes et les salariés des entreprises concernées doivent pouvoir compter sur une certaine stabilité des stratégies mises en oeuvre, surtout lorsqu'il s'agit de sociétés qui luttent pour préserver leur rôle sur le marché mondial, comme Air France, Thomson ou Dassault-Aérospatiale. Derrière la décision de privatiser ou non, il n'y a pas seulement du calcul politique ou la volonté de défendre des intérêts catégoriels. C'est en réalité une certaine vision de la France du futur qui est en jeu.

© Groupe Expansion 1996

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