Au
royaume des aveugles...
Edito l'Expansion n° 549
Par François Roche
Le découragement de beaucoup de jeunes face à une société paralysée, immobile, engoncée dans ses habitudes, on ne devrait parler que de cela...
Difficile de juger d'un film
avant de l'avoir vu en entier. Pourtant, dix jours avant le
premier tour des élections législatives, cette impression d'un
discours électoral tournant à vide ne parvient pas à
s'estomper. Les demi-vérités continuent d'avoir la vie dure, au
nom du "respect" d'une opinion publique que l'on dit
réfractaire au changement alors qu'elle l'est surtout aux
discours sur le changement venant d'une classe politique qui,
elle, est bien incapable de se renouveler. Pourtant, les
problèmes à résoudre sont connus. Ils ont été maintes fois
décortiqués, analysés, mesurés par une foultitude d'experts,
de consultants, d'analystes. Tous les hommes politiques sérieux
de ce pays le reconnaissent en privé: il faut à la France une
réforme en profondeur de la façon dont elle se dirige et se
gère.
Certainement pas pour la beauté du geste, mais parce que c'est
aujourd'hui la seule façon de créer un cadre économique viable
pour le futur. Tous les grands pays développés se sont livrés
à cet exercice. Leurs expériences sont à la disposition de
tous. La majorité actuelle laisse entendre qu'elle le fera, sans
expliquer de façon convaincante les raisons de cette prise de
conscience tardive. Dans la bouche de certains de ses leaders, on
sent plus de résignation que d'enthousiasme pour conduire le
pays dans cette voie.
Un débat dépassé
Le Parti socialiste a décidé de s'inscrire dans une trajectoire
inverse, sachant fort bien que, s'il met en oeuvre son programme,
il court le risque de se couper des milieux économiques et
d'alourdir encore un peu le fardeau de la dépense publique. Il
ne veut pas voir que le niveau actuel des prélèvements est tout
simplement insupportable et que, pour le réduire, il faut
remettre à plat les missions de l'Etat. Les approches globales
qu'il privilégie concernant la durée du travail et la politique
des salaires ne sont plus adaptées à la réalité des
entreprises. Beaucoup de ses responsables le savent... mais n'en
disent mot.
Tous, à droite et à gauche, commettent l'erreur de débattre à
l'infini sur la dose de "libéralisme" qu'il faudrait
insuffler à la France. C'est un débat dépassé, puisque, à
l'évidence, liberté d'initiative et croissance économique sont
intimement liées - ce qui ne veut pas dire que l'Etat n'a pas un
rôle déterminant à jouer dans le maintien de la cohésion
sociale.
Des jeunes découragés
Il ne faut probablement pas en faire un phénomène de masse,
mais le nombre de jeunes - diplômés ou non - qui, par lettres
ou à l'occasion de rencontres avec la rédaction de L'Expansion,
disent vouloir tenter leur chance ailleurs qu'en France pour
trouver un emploi ou créer une entreprise ne cesse d'augmenter.
Evidemment, nous serions bien en peine de produire une
statistique, car ce genre de tendance se mesure mal. Dans un pays
qui fait de la manipulation politique des chiffres un sport
national, ce découragement de beaucoup de jeunes face à ce
qu'ils décrivent comme une société paralysée, engoncée dans
ses habitudes, prisonnière de ses lourdeurs et de ses concepts
surannés, ne risque pas de faire l'objet de débats. Pourtant,
on ne devrait parler que de cela...
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